ICARE - de Martine Decreuze - avril 2023

ICARE !

                                                         Tu t’es brûlé les ailes

                                                         Pour avoir fui à tire d’aile

                                                         Vers un ailleurs

                                                         Rêvé meilleur

                                                         Vendu par des arnaqueurs

                                                        

                                                         Bâtisseur de bric et de broc d’une cahute

                                                         Tu prends conscience de ta chute

                                                         Tu te réchauffes près d’un brasier

                                                         Tapi sous une toile que détrempe une rincée

                                                        

                                                         Tout comme ton compagnon d’infortune

                                                         Tu n’as pas une tune

                                                         Et pas l’espoir d’en gagner une

 

                                                         Tu apprends à clouer au pilori

                                                         Des heures endolories

                                                         Tes hardes suintent l’humidité

                                                         Tu survis dans l’insalubrité

                                                         Sans autre horizon que la mort du jour

                                                         Ni sans autre destinée que ta bravoure

 

                                                         Car

                                                                                        Tu sais que cet arpent de terre

                                                                                        S’érigera en frontière

 

                                                                                        Proscription !

 

 


                   Ô ma muse

Tu m’amuses

Tu m’abuses

Tu abuses

                   De tes pouvoirs

N’en mésuse pas

                   Au risque de déchoir

Buse

                   Ô petite buse  

Ne ruse pas !


"Nuit grecque" de Martine DECREUZE


Grecque, ma nuit.

 

Pulsations syncopées

De la musique

Emotion

Déchirements douloureux

D’une vie

Voyage initiatique

Au cœur d’une nuit

Grecque

Sortilège intemporel

Des heures

Qui tissent le présent

Et lissent le passé

À la recherche

D’un improbable

 

Lendemain


Trois textes ou poèmes de Martine DECREUZE


HAÏKUS 

 

Sur les pistes caravanières

De nos vies en cavale

Nous vivions des nuits

En exil du quotidien

 

***** 

Lune

Blême dans le matin

Tu te dépouilles

De ton habit de lumière

Et t’éclipses en catimini

 

***** 

Carnassière

l’heure louve

lacère

les lueurs

d’un jour à l’agonie

 

*****  

Un jour en apnée

Dans l’attente des heures

Oublieuses du temps

  


Un libertin en scène

 

 

Mensonges en mentir-vrai
Promesses du jour en papillotes
Serments en chapelets
Retrouvailles en trompe-l’œil
Rendez-vous en dérobade
Aveux cryptés en clair-obscur
Soirées en roucoulades
Petites trahisons en amuse-gueule
Jalousies carnavalesques
Avenir joué à pile ou face
Espérances à l’encan
Émois en débandade
Zéphyr des papillonnades
Œillades en contrebande
La vie, l’amour en instantanés

Le tout pimenté d’un zeste 
de poudre aux yeux

 

Trois petits tours de piste et puis…
s'en va séduire ailleurs…

 

 


C’est quoi des tyrans ?

               

Ce sont ceux-là

 

                       Museleurs de la parole

                       Aboyeurs de la langue de bois

                       Tireurs d’élite bâillonnant    

                                                                  les voix dissonantes      

 

                       Détrousseurs d’avenir

                       Dépouilleurs d’espérance

                       Destructeurs de destins

                                                                  sur ordonnance

                                                                                    

                      

                          

                       Ordonnateurs de crimes abjects

                       Pourvoyeurs d’anéantissement

                       Amateurs ignobles

                                                                  de vile forfanterie

                                                          

                       Détenteurs de la richesse

                       Pilleurs de celle du peuple

                       Accapareurs de la justice

                                                                  au service de l’arbitraire

                      

                       Recruteurs de mercenaires

                       Égorgeurs sans vergogne

                       Tueurs sans sommation

 

                                                                  de la libre pensée

 

17 JUIN 2022


Le texte émouvant de Véronique CAUBRIERE pour le concours N2L.


Retour aux sources

Il y a des évènements dans la vie qui vous arrêtent net sur votre lancée. Mais là où certains vont rebondir, d’autres, comme Gabrielle, vont se sentir complètement paralysés, anéantis, apeurés, ne trouvant plus de sens à leur existence, s’estimant victime d’une injustice terrible. Accident, maltraitance, violence, pandémie, perte d’un être cher, catastrophe naturelle, enrôlement de force dans une guerre, civils innocents pris dans des combats incompréhensibles… la liste des traumatismes peut être longue !

Dans le cas de Gabrielle, il s’agit de l’annonce de sa maladie : un cancer de stade 4. Elle qui n’avait jamais eu de problème de santé particulier, rien ne laissait présager un tel choc ! Elle s’est toujours sentie un côté immortel tant sa force intérieure est puissante. À l’annonce du diagnostic , cela lui semblait surréaliste. Ça ne pouvait être qu’une aberration. Effectivement il y a bien une tumeur, mais rien ne dit qu’elle n’est pas bénigne. Après tout, il y a bien des erreurs médicales !… Mais non, les médecins sont unanimes : c’est bien un cancer. Des biopsies ont été faites, il n’y a pas de doute possible. Et, en plus, dès le début, on a découvert des métastases au foie et au poumon. Difficile pour Gabrielle de se projeter dans l’avenir avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête. Il faut déjà se remettre du traumatisme. 

 

Depuis l’annonce du diagnostic, son corps lui envoie des signaux. C’est comme si elle avait été dans le déni et que la révélation de la maladie s’accompagnait des différents troubles liés à sa pathologie… Et puis, il y a également les traitements qui semblent plus nocifs que bénéfiques et qui provoquent des effets secondaires inimaginables. Pour compléter le tableau, à peine le premier protocole de chimiothérapie commencé, Gabrielle se retrouve aux urgences. Opérée très rapidement, elle apprend qu’elle a fait une péritonite mais elle découvre également une drôle de surprise à son réveil : elle se retrouve avec une colostomie, cette fameuse « poche » externe pour recueillir les selles, éventualité dont on lui avait parlé en cas

d’occlusion intestinale. Sauf que là, vus les évènements, on lui a expliqué qu’il valait mieux anticiper. On n’allait pas prendre le risque d’une évolution négative et avoir à réopérer dans la précipitation.

L’image du corps en a pris un sacré coup ! Déjà qu’elle a perdu 20kg, quand elle se regarde dans la glace, elle a du mal à se dire que ce reflet osseux est le sien.

Gabrielle a toujours été très sociable. Elle est très entourée, entre les membres de sa famille et ses amis. Elle adore les gens, les discussions, sérieuses ou pas, les repas conviviaux, les sorties au cinéma, au théâtre, les spectacles... Mais toutes ses envies se sont évaporées au moment de l’annonce de la maladie. Elle ne souhaite qu’une chose : se retrouver seule chez elle, dans sa maison où elle se sent bien et qui la sécurise, son petit nid comme elle dit. Cela fait douze ans qu’elle habite là, en Suisse Normande. Elle se souvient que lorsqu’elle a acheté, elle avait été charmée par la bâtisse mais surtout par ce grand terrain arboré et fleuri, très bien entretenu. Entre son travail et ses occupations, elle ne s’en est pas beaucoup occupé de son « domaine ».

L’herbe n’est pas fraîchement tondue, les haies et les arbres ont poussé et ce n’est pas le peu de temps qu’elle a accordé à l’entretien extérieur qui a permis de garder l’attrait soigné qu’il y avait au départ. Mais qu’importe, cela reste beau et surtout, cela lui plaît. Gabrielle se sent donc un besoin d’isolement, pour faire le point, pour réfléchir, pour se ressourcer. A part quelques intimes, elle ne souhaite pas qu’on la voie dans l’état où elle est. Elle se connaît suffisamment pour savoir qu’elle ne va pas tomber au fond du trou. Tout ce qu’il lui faut, c’est du temps. Du temps pour accepter, du temps pour se reconstruire, du temps pour se concentrer sur l’essentiel et l’essentiel, en ce moment, c’est Elle.

 

Gabrielle n’est pas complètement seule : Muscade, une adorable Jack Russel recueillie le 24 décembre 2018 et dont elle n’a jamais retrouvé les maîtres, partage sa vie. Nous sommes à quelques jours de l’hiver, il ne fait pas chaud, c’est sûr, mais Gabrielle a besoin d’être au contact de la nature. Elle redécouvre le plaisir de simplement se poser pour regarder, observer, chose qu’elle ne prenait pas le temps de faire avant, toujours à courir, bousculée par différentes obligations. Elle est admirative devant ses arbres, ces arbres, qui se sont développés et épanouis tout seuls dans une harmonie parfaite. Il y en a beaucoup, peut être trop, des résineux immenses, des arbres fruitiers... mais entre le hêtre, le hêtre rouge, l’érable, le cerisier, elle se demande bien auquel elle décernerait la palme du plus majestueux. Ils n’ont pas tout à fait perdu leurs feuilles

et ont encore de magnifiques couleurs automnales. Elle se sent bien avec eux. Elle leur parle, les complimente, interpelle les oiseaux curieux qui viennent chercher des vers.

Dans la haie, le lierre a gagné certains troncs. À cette saison, c’est assez facile de faire du nettoyage. Et elle qui se sent si fatiguée, abattue, elle retrouve une énergie incroyable à combattre cette gangrène parasite qui assaille les plus faibles. Elle s’exprime à voix haute, pour les consoler. Elle a plaisir à les soulager, à les soigner en les débarrassant de ce mal envahissant.

La bise qui cingle fait une douce musique dans les branches. Un son si apaisant… A l’extérieur, Gabrielle est heureuse de retrouver ses sens : la vue, l’ouïe, le toucher, l’odorat (pour le goût, c’est encore difficile actuellement). Effectivement, avec toute la pluie qui est tombée ces derniers jours, l’odeur de la terre est forte et lorsqu’elle arrache au mieux les racines du lierre qui courent dans l’herbe, cela exacerbe les senteurs. C’est vrai que les traitements l’ont durement éprouvée. Elle a l’impression d’avoir des chants de cigales en permanence dans les oreilles. Depuis quelques mois, elle voit dans l’œil gauche des corps

flottants (il paraît que ça peut disparaître comme c’est venu), elle a très peu d’appétit et d’envies. L’odeur des plats qu’elle cuisine lui lève le cœur et, lorsqu’elle mange, elle ne retrouve pas le goût habituel des aliments. Pour certaines denrées, elle a même une aversion totale. Elle qui buvait du café à longueur de journée, rien que l’odeur de cette boisson lui lève le cœur.

A son deuxième protocole de soins, parmi les effets secondaires, elle avait des picotements dans les mains avec une hypersensibilité au froid, comme des milliers de petites aiguilles qui venaient la piquer.

Mais lorsqu’elle est dans son terrain, elle n’entend plus les cigales, elle n’a plus conscience des petites taches marron dans l’œil qui la gêne, elle apprécie les odeurs et elle aime toucher la terre. Elle fait bien attention à ne pas se blesser car pour retirer le lierre, elle enlève ses gants de jardinage pour pouvoir pincer facilement la liane parasite qui monte sur les troncs des arbres, créant de véritables lésions sur l’écorce.

C’est comme pour ses douleurs abdominales, dès qu’elle est à l’extérieur, au contact de la nature, elle arrive à prendre de la distance, à ne plus focaliser dessus. Elle est tellement occupée à observer, à toucher, à parler, à méditer que la souffrance n’occupe plus le devant de la scène. De temps en temps, Gabrielle s’aventure en dehors de chez elle. Muscade était habituée à sortir deux fois par jour en balade mais là, depuis la thérapie, elle a souvent dû se contenter du terrain de derrière, ce qui pour elle, n’a pas du tout le même attrait. Il n’y a pas beaucoup de passages dans cet endroit clos attenant à la maison, donc peu de choses intéressantes à analyser. A vingt mètres du portail de la maison commence un chemin de randonnée qui mène jusqu’au plan d’eau du Traspy. L’aller / retour doit faire environ trois kilomètres. A part quelques promeneurs de chiens ou des joggeurs, Gabrielle et Muscade y rencontrent rarement du monde. Gabrielle avance à son rythme, rythme qui n’a plus rien à voir avec celui qu’elle était capable de suivre avant sa maladie mais au moins, cela lui laisse de temps d’observer et d’écouter et surtout de penser, de réfléchir, de méditer.

Muscade est ravie elle peut ainsi renifler tranquillement, faire des va et vient en courant après les oiseaux. Dans la première partie du chemin, Gabrielle prend toujours le temps de s’arrêter devant un arbre qui lui fait penser à un visage, un visage de souffrance. Cela lui évoque à chaque fois un tableau d’Evard Munch, Le cri. Les stigmates que le feuillu porte sur son tronc, des mutilations anciennes, expriment toutes les douleurs qu’il a dû ressentir. Elle pense que c’est un tilleul. Et elle se souvient que lorsqu’elle était enfant et que les employés communaux étêtaient ceux de la rue principale, là où elle habitait, ne leur laissant que le tronc surplombé par des espèces de moignons, elle leur trouvait un air effrayant. Les arbres têtards ont une forme caractéristique qui résulte de tailles périodiques et au niveau des coupes, la cicatrisation engendre des bourrelets de recouvrement faisant penser à des tuméfactions, ce qui leur donne cet aspect terrifiant. Mais Gabrielle, en ce qui concerne celui du chemin, ce qui l’intrigue, c’est à quel point cet arbre l’appelle, l’attire.

Dans la deuxième partie du chemin, ce qu’elle aime par dessus tout, c’est le ruisseau qui longe le sentier et surtout la musique qu’il fait, très différente à chaque fois en fonction des précipitations des jours précédents. Suivant les moments, ce petit cours d’eau peut se faire complètement oublier, laisser entendre un léger clapotis ou au contraire vrombir et claquer sur les reliefs, que ce soient des pierres qui dépassent ou les courbes de son lit. C’est comme sa couleur, elle peut passer d’une transparence incroyable quand il ne semble pas y avoir de débit à un marron boueux lorsqu’il descend précipitamment vers l’Orne. Sans parler de sa hauteur. Suivant les jours, il semble à peine recouvrir les pierres et parfois, au contraire, il paraît prêt à déborder. Que ce soit chez elle, dans son jardin, ou dans le chemin, Gabrielle se rend compte que sa pensée est très active. Elle avance énormément dans sa réflexion, l’analyse de ses émotions, l’acceptation de la maladie, les sensations désagréables ou douloureuses qu’elle ressent en fonction des traitements. Elle réalise que sa vie a pris un sacré tournant et que ses priorités ont entièrement changé. Elle ne pense même plus à prendre son téléphone portable lorsqu’elle sort et ça ne lui manque pas du tout. Au contraire même, il sonne tellement souvent qu’elle préfère choisir les moments où elle va prendre contact avec ses amis. Lorsqu’elle rentre, il y a souvent des messages sur le répondeur mais ça n’est pas pour autant qu’elle se précipite pour rappeler. C’est comme avec la télé, au début de sa thérapie, elle s’installait dans le canapé et comatait devant des téléfilms ou des émissions. Elle ne supportait pas le silence, se sentait le besoin d’entendre des voix. Si ça n’était pas le téléviseur, c’était la radio qui était allumée en permanence. Cette période a duré de nombreuses semaines avant qu’elle ait besoin de s’aérer. Maintenant, elle n’allume que la radio et seulement au moment des informations et pas forcément tous les jours.

Son rythme de vie s’est complètement adapté à celui du soleil… même si en Normandie on n’en a pas très régulièrement. La lumière naturelle est pour elle une véritable énergie qui l’accompagne pour ce qu’elle a à faire, que ce soient des taches ménagères (il y a quand même un minimum!) ou lire, pour n’importe quelle activité et dès que la nuit tombe, elle sent qu’elle se met en veille. Elle puise ses forces dans cette nature qui a tellement souffert de l’activité humaine mais qui continue à vivre malgré tout, qui s’adapte et avance. Gabrielle

repense à sa propre existence, à ce qu’elle mettait dans ses priorités, à la course effrénée après le temps, toujours à courir et elle réalise à quel point sa notion du bonheur a évolué. Elle n’a plus envie de courir (d’ailleurs elle ne le peut plus), elle a envie de prendre son temps, de parler directement à ses amis, aux membres de sa famille et non de le faire par téléphone ou écran interposé. Et elle sait que c’est devenu son but dans la vie : elle a arrêté de croire que le summum était de s’acheter la voiture de ses rêves, le voyage extraordinaire pour lequel on a économisé toute l’année, de s’habiller avec des vêtements dont tout le monde prône la marque, que son intérieur devait ressemblait à celui des magazines. Elle ne veut plus passer son temps à répondre aux exigences professionnelles qui sont sans cesses en augmentation, qui la stressent, la bousculent pour arriver à tout boucler dans la journée et si ça n’est pas le cas, de ramener du travail à la maison. L’argent est passé prioritaire devant l’Humain. Il faut faire plus de chiffres alors on licencie mais il y a toujours autant de travail à réaliser. Il faut donc restructurer les équipes pour répondre aux demandes. Et quand on voit la quantité de personnes qui vivent dans la misère on se demande comment on a pu accepter cela sans rien dire, en laissant faire.

Gabrielle ne sait pas si elle va sortir gagnante de son combat contre la maladie mais ce qu’elle sait, c’est qu’elle ne veut plus vivre à 200 à l’heure à courir après des rêves qu’on a choisis à sa place et qu’on lui impose insidieusement comme étant l’image du bonheur. Elle l’a trouvé son paradis, elle l’avait depuis douze ans mais elle ne savait pas en profiter. C’est là qu’elle se ressource le mieux, c’est donc qu’elle prend racine. 

 


Confinements : notre isolement nous inspire...


Journal d'un Papa confiné

Clémentine Le Fournier

Jeudi 11 juin 2020

 

 

 

Une petite nouvelle sur le temps difficile du confinement. 

 

 

12 Mars 2020 - 20h30 

 

La sonnerie de Skype retentit. Romain patiente, le genou sautillant d’inquiétude. Ça à l’air grave quand même, pense Romain ; il aurait dû insister. 

Cinq jours plus tôt, il n’était pas sûr que ce soit une bonne idée ce départ pour la Réunion, Cécile l’avait rassuré d’un baiser. Ah ! Ça y’est ! Le bip laisse place à un salut enjoué. Par écran interposé, Romain voit sa compagne, le visage hâlé par le soleil.

« Ouais, ça va, ça devient chaud là… 

— De quoi, tu parles ? 

— Du coronavirus ! T’as pas vu l’allocution de Macron ? » 

 

Cécile hausse les épaules. Bien sûr, elle n’a rien regardé. Cécile, moins elle regarde les infos, mieux elle se porte ! Elle lui fait suffisamment de reproches le matin, lorsqu’il met Europe 1 à fond, en déjeunant de tartines grillées et de café noir. Cécile, elle est plutôt du genre calme au réveil, étonnant quand on sait que les matinées se rythment aux cris d’Adèle et de Thibault. 

« Il nous demande de limiter les déplacements… Je me demande si tu ferais pas mieux de rentrer… 

— Oh le rabat-joie ! Écoute, c’est juste dix jours. Stresse pas, Romain ! 

— Mouais… c’est déjà la merde chez les Italiens. 

— Ils ont pas notre système de santé, » le coupe Cécile. 

 

Romain fait grise mine. Pas le même système de santé, pas le même système de santé… Lui, il les regarde les infos, les derniers mois n’ont pas été roses pour les hôpitaux, ils semblaient déjà au bout du rouleau. Alors, si la pandémie s’intensifie… 

« C’est à cause des gosses que tu t’inquiètes ? » renchérit Cécile. 

Qu’est-ce qu’elle raconte ? Il lui parle du Covid-19, parce que, lui, s’est renseigné sur le machin, et elle lui parle des mouflets.

« Quoi ? 

— Tu t’inquiètes pour la puce et Thib ? J’ai vu qu’ils ont fermé les écoles. 

— Ah ! T’as regardé finalement ! »

Elle roule les yeux :  

« Pas besoin, tout le monde en parle ! Honnêtement, nounours, tu crois vraiment que c’est si grave, alors qu’ils ont maintenu les municipales ? » 

Elle a pas tort, mais Romain a un mauvais pressentiment.

 

 16 Mars 2020 — 20h10

 

« IL FAUT QUE TU RENTRES TOUT DE SUITE ! ! ! » 

Trois points d’exclamation devraient suffire, avec Cécile, il n’est jamais sûr. Elle est un peu trop cool parfois. Enfin, là, ce n’est vraiment pas le moment de tout prendre à la légère. C’est le bazar ! Le week-end s’est plutôt bien passé, il a pu sortir les enfants pour les emmener au bord de l’Orne, mais là… Claquemurés dans l’appart’ avec les deux sbires, c’est chaud ! C’est chaud !

 

Romain se reprend… Le pire n’est pas tellement de se retrouver seul avec ses enfants, il s’inquiète pour Cécile, il faut qu’elle revienne de la Réunion. 

Trois minutes après — appel — ouf ! 

« T’as trouvé un vol ? 

— Bonjour à toi aussi… 

— Oui, oui… C’est urgent là ! »

Romain a dû mal à contenir ses nerfs : 

« Putain ! Je t’avais dit de rentrer jeudi dernier ! 

— Oh ! Ça va, monsieur je-sais-tout ! Je fais ce que je peux ! » 

 

Pas la peine de s’énerver. C’est compliqué pour tout le monde. Il espère qu’elle va pouvoir trouver un vol rapidement et rappliquer fissa ! Il s’excuse, mais, maintenant, madame bougonne. Les cajoleries finissent par faire leur travail. Qu’elle ne s’inquiète pas, il s’occupe des mômes, tout en faisant du télé-travail, il a déjà tout organisé avec sa boîte. Occuper les mômes… Étrangement, c’est ça qu’il appréhende le plus… Non pas qu’il ne prend pas soin d’eux, mais, à sa décharge — il en est bien conscient —, Cécile est un peu leur phare à tous.

 

Jeudi 17 Mars — 12h

 

« Papa ? Maman, elle rentre quand ? » 

 

La question à un million de dollars ! Pressant le tube de Ketchup qui s’étale sur l’amas de pâtes dans un « pouitch ! » retentissant. Adèle l’observe, de ses petits yeux sombres, sérieuse comme un pape, pendant que Thibault mâche sa pitance, la bouche bien ouverte pour qu’on vérifie que tous les aliments roulent bien vers l’œsophage.

 

« Je sais pas, ma puce, bientôt, elle a pas encore trouvé de vol. 

— On… voua… opar… ste… prem ? 

— Thib, j’ai rien compris à ce que tu dis avec toutes ces pâtes, » réplique Romain. 

Son fils se dresse sur sa chaise, avale sa monstrueuse bouchée dans un bruit de déglutition. Salué d’un « dégueu ! » de sa sœur, Thibault sourit de toutes ses dents. Romain se retient difficilement de rire face aux pitreries de son fils. 

« On va au parc, cet aprèm ? » 

 

Si seulement. Après s’être fait tapé sur les doigts par les politicards — ils ont pas fait de chichis pour leurs municipales —, le parc, c’est une mauvaise idée. Et, Romain n’a pas envie de croiser la voisine, Mme Simon, avec son reniflement dédaigneux, évitant ses enfants comme s’ils étaient pestiférés. Vieille Gourde ! 

 

Non, il va falloir qu’il trouve une autre solution ; les dessins-animés, c’est bien sympa, mais si Cécile le voyait, elle lui arracherait les yeux. Il a travaillé ce matin, c’est déjà ça… Bon, il faut qu’il se creuse la tête… Qu’il trouve un moyen de les distraire… À quoi, il aimait s’amuser, enfant, avec son frère ? 

 

Romain se souvient des parcours du combattant que Mathieu — son frère aîné — créait dans leur chambre. À l’aide de bureaux, de lits et des bricoles qui l’encombraient, son frère dressait une véritable aventure tout droit tirée de leurs jeux vidéos : Doom ou encore Duke Nukem — son favori ! 

 

Nostalgie oblige. C’est décidé ! Il est temps de les faire se dépenser, au moins ils dormiront bien ce soir ! 

 

Thibault est enchanté : mettre le bazar, c’est sa spécialité. Pour une fois, on peut déranger sans se faire gronder ! Adèle, plus réservée, finit par se prendre au jeu.

Passage éclair sur le bureau Ikea, on saute sur le vieux pouf délavé, on rampe sous la table basse entre le couloir des chambres et le salon. Sans un bruit, il faut éviter le Kraken — participation créative de Thibault ! 

 

On imagine, on ajoute de nouveaux monstres, on se tortille sur le canapé pour éviter la lave bouillonnante qui recouvre le parquet — collant — du salon, on passe d’un tabouret à un autre. Il ne faut pas tomber dans la nasse aux serpents comme Indiana Jones !

Des obstacles, sans cesse plus inventifs, plus drôles aussi… On verra demain ce que l’esprit aura à proposer.

  

 

 

Lundi 13 Avril — 7h

 

« Debout les pouces ! Il est l’heure de se lever ! 

— Non ! ! ! »

Thibault balance son oreiller à travers la pièce. C’est la troisième fois que Romain doit droper pour éviter le coussin qui lui fonce dessus à presque quatre-vingt kilomètres à l’heure. Heureusement qu’il a de l’entraînement, dix ans de Basketball, ça conserve ! Cependant, Romain n’a aucune envie de continuer à être agressé de cette façon, chaque matin.

 

Il rattrape l’oreiller au sol et le lance sur le lit. Il est temps que Thibault subisse un réveil militaire. Le père de Romain en avait l’habitude de le faire quand il était adolescent et qu’il fallait qu’il se lève tôt. Romain commence à chantonner, produisant le bruit d’une trompette avec sa bouche, il rabat la couverture sur le ventre de Thibault et l’attrapa par les pieds. 

 

Malheureusement, ce qui pouvait énerver Romain quand il était ado, fait rire Thibault aux éclats. À croire que Thibault s’amuse à inventer un nouveau rituel du lever. En tout cas, c’est sans doute ce que Sophie lui dira quand il skypera avec elle. 

 

Bon. Il est temps de revenir au présent, surtout qu’Adèle n’est pas contente, hurlant à son frère de sa chambre : 

« Thibault ! Tais-toi ! »

Romain attrape son fils et commence à le faire tourbillonner autour de lui. Comme à chaque fois, ça s’envenime… Romain rigole et décide de calmer les choses en allant chercher Adèle dans sa chambre. 

 

Depuis un mois de confinement, autant dire que le rythme n’est toujours pas pris. Sophie lui a conseillé d’organiser leurs journées comme si les enfants allaient encore à l’école. Donc. Romain les réveille tôt les jours de la semaine, même si lui-même préférerait rester au fond de son lit. Petit-déjeuner, habillage, lavage de dents et école… On reprend la table des matières pour Adèle, le coloriage pour Thibault. 

 

Ils ne sont pas très assidus, mais Romain fait ce qu’il peut. C’est sûr, si Sophie était là, ce serait bien différent. Romain regarde ses enfants manger leurs céréales, morose en pensant à Sophie.

 

Un peu plus tard dans la journée…

 

Comme d’habitude, les séances Skype avec les grands-parents sont compliquées. Entre les grands-parents, dont on ne voit qu’une partie du visage, et les enfants luttant pour attirer leur attention, Romain tente de jongler entre les quatre énergumènes. Essayer d’expliquer à ses parents pourquoi Sophie est toujours à la Réunion, s’il arrive à s’en sortir avec les deux petits monstres, comment ça se passe avec les revenus — comme il est au chômage technique. 

 

S’ils sont trois au lieu d’être quatre, Romain appelle Sophie tous les jours pour que les enfants puissent discuter avec leur mère. C’est sans doute la partie la plus difficile de ce confinement, non pas que rester chez-soi enfermé avec les deux loupiots soit facile, mais au moins ils ont des sacrés bons moments. 

 

Aussi horrible que cela puisse paraître, s’occuper des deux gosses lui permet d’oublier un peu la situation. Sophie, Romain le reconnait, il se reposait beaucoup sur elle avec les enfants. Alors, d’un côté, il veut que Sophie revienne et vite — cela risque de prendre du temps —, d’un autre côté, il profite de chaque instant, aussi bien les durs moments où ils le rendent fou que les moments où ils le font mourir rire.

 

Il n’est pas un mauvais père, il le sait. D’ailleurs, Romain trouve qu’il s’en sort plutôt bien en cette période difficile. Ils sortent si peu, ne voient personne, et restent chez eux la plupart du temps. C’est le moment d’être créatif, de trouver des activités, d’agencer les journées en programme improvisé : Leçons ; Travail ; Coloriage ; Pâte à modeler ; Gymnastique ou quart d’heure de folie ; Jeux ; Dodo. 

 

Et demain, on verra bien !

 

En attendant, Sophie leur manque, comme elle lui manque. Il aurait préféré qu’elle prenne un vol pour revenir illico de la Réunion, quitte à payer mille euros. À la place, elle s'est confinée dans l’océan indien, avec ses copines, à apprendre à vivre en communauté. Après pas mal de disputes, ils se sont enfin inscrits dans une routine… Ils s’appellent tous les jours à heure régulière. Romain se doute, cela doit être difficile pour Sophie, pis, puisqu’elle n’a pas ses « poussins » comme elle dit.

 

Le déconfinement est en marche… Vivement le 11 Mai ! Il ne faut pas vendre la peau de l’ours, non plus. Il y a la question des masques, des zones rouges et vertes, de l’interdiction de rassemblement qui perdurent… Et, les enfants, dans tout ça ?

 

Samedi 25 Avril — 11h

 

« J’en peux plus… Franchement, je me ferai un bon barbec’ dès qu’on pourra sortir de l’appart ! 

— Tu m’étonnes, mais tu vas le faire où ton barbec’ ? 

— Je vais voir mes parents à Putanges dès le weekend suivant. Un peu de campagne, en espérant qu’on aura un aussi beau temps que les dernières semaines. » 

Il faut dire que c’était sacrément déprimant d’être en appartement, alors qu’il faisait un soleil de fou dehors. Romain entraine Thibault et Adèle à passer un peu de temps sur leur balcon pour profiter du soleil… Malheureusement, ils peuvent pas faire grand chose, celui-ci ne fait que cinq mètres carrés. 

 

Si seulement, ils pouvaient aller un peu à la campagne après le confinement. C’est décidé ! Ils iront faire un pique-nique en forêt, il ne sait pas encore où, histoire de sortir enfin de cette boîte, qu’il identifie tant bien que mal à son appartement.

 

Romain revient à la conversation. Un verre de whisky à la main, il écoute la conversation entre ses amis : Jean et Margaux, Gérald et Alicia. Ils se moquent de sa barbe drue qu’il n’a pas rasée depuis un mois. C’est toujours un peu le bazar leur apéro-skype, mais au moins, cela lui permet de garder le contact, de maintenir un semblant de vie sociale en l’absence de Sophie. 

 

Ils ont bien de la chance eux… 

 

Au début, Romain faisait quatre apéro par semaine. Il a finalement réduit un peu la voilure, ça faisait quand même beaucoup. 

 

Bien entendu, la conversation dérive sur la fin du confinement, l’excès de bouffe, la reprise du sport et surtout les masques, l’imbroglio des recommandations. Romain, lui, laisse tout ça de côté, il a arrêté de regarder les informations — suivant l’insouciance de Sophie —, ça le déprimait trop. Il s’interroge quand même : comment va-t-il pouvoir laisser les enfants à l’école ? Comment les enseignants vont-ils pouvoir gérer le retour au travail ? Et lui, va-t-il reprendre le boulot, ou travailler de chez lui ? Vont-ils pouvoir aller voir les grands-parents ? Et Sophie, dans tout ça ? Rapatriement ou non ? 

 

Pas mal de questions qui embrouillent la tête de Romain… La dernière étant la plus importante. 

 

 

 

 

Lundi 11 Mai — 15h

 

« Je t’avoue que je suis pas mécontent de voir le bout du tunnel. 

— T’emballe pas non plus, hein… Y’a encore les masques, ‘les gestes barrières’ », Sophie accompagne sa dernière parole d’un geste sans équivoque. 

Romain ricane. Pour une fois, c’est elle qui le met en garde, cela le rassure. Il sait très bien qu’ils sont loin du compte, mais il prend les choses du bon côté. Il va enfin pouvoir sortir un peu avec les loupiots. 

 

Aller faire un tour à la Prairie, se balader sur les quais de l’Orne, éviter les magasins qu’il devine bondés. Sortir… Rien que sortir, cela le met en joie et ce week-end, direction la campagne. 

 

Il s’est renseigné le soir précédent, voir s’il n’y avait pas un endroit sympa pas très loin de Caen où ils pourraient emmener les deux marmouzes. 

Son copain Gérald, le fanatique de barbecue, lui a conseillé un coin dans sa région d’origine : la Roche d’Oëtre. En espérant qu’il fasse beau en fin de semaine. Ce serait vraiment le coup du sort si, après un mois de confinement sous un beau soleil, ils se retrouvent coincés à l’appart à cause du mauvais temps, de quoi en pleurer. 

 

« Maman ! Maman ! »

Thibault rapproche son visage de la tablette comme si sa mère pouvait mieux l’entendre ainsi. Tout ce qu’il réussit à faire c’est de lui présenter son petit cou potelé de garçonnet de cinq ans. 

Adèle lève les yeux au ciel et le tire en arrière : 

« Thibault, on voit plus rien à cause de toi ! 

— Maman, regarde je t’ai fait un joli dessin pour quand tu rentres ! 

— C’est gentil, mon p’tit dino, » le remercie Sophie avec un grand sourire. 

Romain laisse les enfants discuter, babiller et se chamailler pour avoir l’attention de leur mère. Sophie devrait rentrer ce mois-ci. Elle suit avec attention l’affrètement des avions de la Réunion à la France.


C’est pas trop la joie pour le moment. Les plaintes sont légions contre les compagnies qui entassent les gens dans les avions sans précaution. Il y a deux semaines encore, un avion Air France supposait emmener une centaine de personnes s’est retrouvé avec deux cents personnes de plus. 

 

Sophie, insouciante comme elle est, s’en fout. Elle veut rentrer c’est tout ce qui compte, alors elle va à l’aéroport Roland Garros tous les jours, histoire de boucler un vol le plus rapidement possible. 

 

Romain ne dit rien. Il comprend, cela fait deux mois qu’elle n’a pas vu les deux lascars, deux mois qu’elle est coincée dans ce qui semble être le bout du monde. On oublie vite les restrictions dans une situation pareille…

 

Jeudi 14 Mai — 8h

 

Y’a pas grand monde dans la cour de l’école… Rien d’étonnant… Romain regarde Adèle courir vers son ami Gentiane. Quel drôle de nom ! Romain s’est toujours interrogé sur le besoin des parents à trouver le nom le plus original qui soit. Peut-être est-il un peu trop vieux jeu ou pas assez fantasque comme le lui reproche de temps en temps Sophie. 

 

Ah ! Si seulement elle était là… Elle pourrait lui reprocher tout ce qu’elle veut, il s’en moquerait du moment qu’il pourrait la serrer dans ses bras. Allez ! Ce n’est plus qu’une question de quelques semaines maintenant… Déterminée comme elle, elle va trouver un vol ce mois-ci pour rentrer, il en est certain. 

 

Il fait un signe à Thibault qui se déchaine sur le parcours des jeux pour enfants. Son fils, ce casse-cou. Des deux, il est celui qui ressemble le plus à sa mère, avec son insouciance, sa tendance à l’excès, quand Adèle est plus réfléchie : son portrait craché à lui.


Romain sourit. La sonnerie retentit, les enfants sont heureux de retrouver la cour de l’école, leurs amis, de sortir de leur maison qui s’était peu à peu apparentée à une prison. Romain se félicite de cette fin de confinement, même s’il aurait préféré se passer de ce masque qui lui gratte le nez. 

 

Au moins, il en a un… Il a eu de la chance, la voisine du cinquième, une femme adorable qui a toujours eu un mot gentil pour ses enfants, s’est employé pendant le confinement à fabriquer des masques en tissus pour les habitants de l’immeuble. Une centaine de masque en à peine deux mois… Un exploit ! 

 

Romain en fouillant sur un internet — après avoir délaissé les actualités, il s’y est finalement remis la semaine dernière — a vu que certaines communes avaient bénéficié du travail de ces petits mains… Une solidarité pour laquelle Romain est reconnaissant, mais a bien du mal à savoir comment repayer. 

 

Il hausse les épaules. Il s’essaiera à la pâtisserie ce weekend, les pouces adorent ça, ils en font souvent avec leur mère, alors pourquoi pas avec lui pour faire un bon gâteau au chocolat pour madame Simska du cinquième. 

 

Dimanche 17 Mai — 13h

 

C’était une merveilleuse idée ! Thibault se roule dans l’herbe en hurlant des sons inintelligibles, alors qu’Adèle tente tant bien que mal de se faire une couronne de fleurs avec les quelques pâquerettes et boutons d’or qu’elle trouve à droite à gauche. 

 

Romain, lui, à moitié allongé, les coudes plantés dans le sol, observe les environs. Il profite du soleil, de l’air, d’être dehors. Il n’est pas le seul… Après deux mois enfermés, les gens avaient bien besoin de sortir comme il le voit autour de lui avec toutes ces familles pique-niquant. 

 

Pas sûr qu’ils en aient le droit, mais ils sont bien éloignés les uns des autres, c’est assez étrange d’ailleurs de voir comment tout le monde se fuit ici ! Au moins, ils ont de la place. 

 

Gérald avait raison, quel endroit superbe ! Aussi bien le promontoire avec sa vue sur la vallée de la Rouvre que le petit chemin serpentant en berge. 

 

Ils ont pu faire une petite balade, avant d’installer leur nappe et leur pique-nique dans un champ un peu à l’écart de tous. Adèle et Thibault s’en donnent à cœur joie et Romain ne peut s’empêcher de sourire. Le tableau serait parfait, si Sophie était là. 

 

Bah… Ce n’est plus qu’une question de temps, maintenant, un peu de patience et il pourra l’emmener elle aussi aux bords de la rivière pour un pique-nique… Un joli projet en perspective. 

 

En avance sur son temps

Jack Lamache

jeudi 16 avril 2020

EN AVANCE SUR SON TEMPS 

 

 

          En ce chaud matin de novembre 2019, j’étais plutôt confiant en entrant dans le bureau de mon éditrice, Angéla Doelen, patronne et unique actionnaire des « Éditions de l’Auberge Espagnole ».

          Mes derniers livres avaient plutôt bien marché (enfin à mon niveau) et comme elle le disait avec son charmant accent teuton :

          « Au moins, avec toi, je ne perds pas d’argent ».

      

       Une fois assis, les banalités échangées, et après avoir accepté par charité littéraire son horrible café, elle se saisit de mon dernier manuscrit.

          - Mon petit Jean (alors que je mesurais facile 20 cm de plus qu’elle), j’ai comme d’habitude apprécié ton style, les personnages et ton humour bien gaulois… Mais…

 

          Je me redressais un peu dans le fauteuil, ça sentait le refus et je me gardais bien d’émettre le moindre son, attendant la suite.

          - C’est le sujet, mon grand. Tu sors de tes fictions habituelles pour te lancer dans la chronique réaliste, mais malheureusement c’est complètement farfelu et totalement improbable. Jamais les lecteurs ne croiront une histoire pareille, ou alors tu me la refais genre science fiction façon Star Wars ou La guerre des mondes, que ta chose vienne de l’espace avec des vaisseaux, des méchants extra-terrestres et un héros qui sauve la terre ! Ton dénouement est trop pessimiste…

            - Mais Angéla je me base sur des faits scientifiques.

         - Quoi ! Cette histoire de grippe espagnole, tu crois vraiment les chiffres ? L’Insee* et l’OMS* y étaient dans les tranchées en 1918 ? Tous les soirs, ils comptaient les morts en différenciant ceux tués par balles, obus et autres bombes, des morts de maladies, et en plus dans cette catégorie ils triaient encore les clamsés du scorbut de ceux de ta fameuse grippe ? Les chiffres je m’en méfie, sauf pour les tirages, héhéhé… Et cette fable sur Hong Kong en 68, moi j’avais 20 ans en 68 et je me souviens bien plus des manifs, des pavés et de « Dany le rouge »** que des supposés (elle jeta un œil torve sur mon texte) 31226 victimes françaises de cette soi-disant épidémie.

       

           Je ne pouvais plus l’interrompre, même pour lui faire remarquer que la grippe de Hong Kong n’était arrivée chez nous qu’à l’hiver 69/70 après avoir ravagé la moitié du monde. Quand elle était partie comme ça dans ses diatribes, autant vouloir arrêter la tempête Katrina avec un cerf-volant. Angéla se prit une cigarette sans l’allumer, signe d’un grand énervement.

 

          - Non mon garçon, je suis déçue, je m’attendais à quelque chose de plus en rapport avec l’actualité, le cas Benalla par exemple : Une affaire d’état qui a tenu en éveil la moitié des sénateurs pendant un mois, tu te rends compte ! Et puis ton truc là, ou tu es allé chercher ce nom : galopavirus

           - Eh bien, c’est parce qu’il se propage à la vitesse d’un cheval au galop, comme la marée montante dans la baie du Mont Saint Michel…

          - Ne m’embrouille pas avec des histoires de canassons et de mer haute ou basse auxquelles je ne comprends rien. Ton roman n’a pas de sens c’est tout ; et le pompon, c’est ton histoire de confidence !

            - Confinement, Angéla !

            - Appelle ça comme tu veux, mais je te le redis, jamais le lecteur pourra croire que la moitié de l’humanité va accepter de rester enfermé chez soi, surtout en France, terre de liberté. Tiens! rien que les gilets jaunes, tu les vois écouter gentiment le gouvernement et ne plus envahir les ronds-points le samedi, et Martinez avec ses manifs du jeudi contre la réforme des retraites. Enfin arrêter les matchs de foot ! soyons sérieux, les supporters foutraient le feu aux stades. Et toi, tu imagines naïvement que la télé remplacera les épreuves sportives par des films avec De Funés, c’est n’importe quoi. Non mon pauvre Jean, je te le répète, ton histoire de virus, ça marchera jamais...

 

*Institut national de la statistique et des études économiques *Organisation mondiale de la santé.

**Surnom de Daniel Cohn-Bendit en mai 68

 

 

CHASSEUR  d'existence

Maryse Vallin

lundi 13 avril 2020

 

Résonance= Effets de ce qui se répercute dans l’esprit

 

 

C’est une période où le temps prend sa liberté.

Passer de « Je n’ai pas le temps », à « J’ai tout mon temps ».

C’est apprendre à vivre le temps présent, ce que tout psychologue clame depuis des années, en criant du style : « méditez 5,10, 15 mn par jour ». « Soyez dans le temps présent ».

 

En ce moment, depuis le début du confinement, nous n’avons qu’à être dans le temps présent. C’est une nécessité obligatoire sanitaire, qui, de plus, n’a pas de durée.

Alors, Nietzsche est là et a dit :

« Ce n’est pas le doute, c’est la certitude qui rend fou ».

 

Oui, le monde était certain qu’il avait la capacité à tordre la nature à sa volonté.

Le monde était certain que le règne des finances était la juste voix, la juste voie aussi, ce mot « concurrence ». Ce virus nous en fait douter.

 

Dans ce doute, se trace un chemin vers le respect soutenu à la Nature, visualisant que « la ville grandissait avec le désaccord de la terre ». (1)

Dame Nature prend sa place par une belle dynamique, celle d’« avoir des égards ». C’est un concept élaboré (2).

 

Tous les vivants ont leur place. Par ce virus, l’homme perd sa suprématie. C’est l’art de développer ce chemin de vie sociétale, avoir des égards.

L’art n’est-il pas supérieur à la science ?

 

Cette catastrophe sanitaire mondiale contraint à une évolution en métamorphosant des raisonnements. S’il n’y a pas métamorphose, il y aura adaptation, et, un jour, un autre virus viendra, et, on recommencera un confinement.

La société a reçu un choc, cela suggère d’avoir des nouvelles lunettes par rapport au monde.

 

Très positive, car ce temps oblige à retrouver sa vie intérieure. Comme dit Nietzsche :

« Je veux créer pour moi mon propre soleil ».

En même temps, l’autre est essentiel pour exister, et, pour faire évoluer son propre cerveau. Ainsi, pas à pas, on devient soi-même.

Cet individualisme imposé par la situation de confinement (on ne se voit plus en vrai), ne nous fabrique pas contre la collectivité, mais, nous fait avoir un autre rapport à la collectivité.

Par exemple, le salaire ne devrait-il pas être évalué en fonction du service rendu à la collectivité ?

 

« Le matin, on s’éveille pour faire sa tâche d’homme » (au sens être humain), comme dit Marc Aurèle.

On a besoin d’être acteur. Alors, en ce moment, on apprend à développer son moteur intérieur. Avant le virus, on n’avait pas le temps de le développer, ou, on ne prenait pas le temps de le développer.

Or, c’est ce moteur intérieur qui nous fabrique en harmonie avec nous-même et le monde.

On retrouve sa faculté d’émerveillement. La météo nous aide à ce sujet en ce moment. On ouvre les yeux tous les matins sous le soleil.

On porte un souci à l’attention, à sa capacité à percevoir ce que sont les autres ; leur place respective dans notre vie.

On cherche à faire résonance.

 

On parle au téléphone, ou, sur des réseaux, mais, on ne touche plus l’autre. On ne le voit plus non plus, sauf en deux dimensions distordues.

Or, comme la parole fait fonctionner le cerveau, sans recours au toucher, ni au regard, on cherche à devenir plus précis dans sa propre expression, celle de nos émotions, de ce que nous vivons, de ce qu’est notre identité, de ce que trace l’interlocuteur dans l’ intime.

C’est la parole qui fait exister l’homme et non l’inverse.

 

La valeur du respect de la beauté cherche à être ma ligne de conduite :

Beauté de la relation à l’homme.

Beauté de la relation à la nature

Beauté de la relation au corps

Beauté de la relation à l’écriture.

C’est pourquoi, j’ai choisi la poésie, qui contraint à une rythmique, à du court. La contrainte est source de créativité. Le confinement nous le prouve : concevoir, produire, méditer.

 

Car, l’écriture ne doit pas être un déversoir si on cherche à la diffuser. Par contre, elle peut être un déversoir dans nos cahiers intimes ; Eux, n’ont aucun intérêt pour l’autre.

Comme dit Flaubert : « Ecrire, ce n’est pas s’écrire ».

 

POESIE : Il fallait y arriver

 

Elle avait toujours peur de rater le train.

Mais aujourd’hui, elle se sent bien

 

Dans le doute

Sur les routes

Faisans et poules

S’éblouissent.

 

Dans les champs

Sous les vents

Fleurs et miels

S’enrichissent.

 

Dans les villes

Via libre, Via !

Femmes et hommes

Lèvent sourcils

 

Oui, les oiseaux pépient.

 

Elle avait toujours peur de rater la vie.

Mais aujourd’hui, elle sourit.

 

  1. Estelle Sarah Bulle, « Là où les chiens aboient par la queue », Editions Liana Levi, 2018.

  2. Baptiste Morizot, « Manières d’être vivant », Editions Acte Sud, 2020.

 


En ces temps-là ...

Mireille Thiesse

Jeudi 16 avril 2020

 

En ces temps là ...

 

          En ces temps de peste où la superstition et la stigmatisation de la différence répondirent pendant trois siècles à l'ignorance scientifique et à l'impuissance de la médecine, la peur de la maladie contagieuse et de la mort orientaient l'être humain vers la ferveur religieuse, quelquefois vers des pratiques masochistes de flagellation publique pour expier la faute, la menace du châtiment divin. Des astrologues évoquèrent une conjonction d'alignement des astres : Jupiter, Saturne, Mars qui perturbèrent le fonctionnement des quatre éléments : l'eau, l'air, la terre et le feu, dont était constitué le corps humain. Celui qui luttait contre la maladie était lui même sujet de méfiance, ou bien il était considéré comme un « semeur de peste », accusé de sorcellerie, donc victime de violences. Devant la silhouette grise au long manteau de pénitent, affublé d' un immense bec, on frémissait, on fuyait même sa propre famille, sa ville, sa paroisse. Pourtant le médecin ou le chirurgien-barbier qui soignait, brûlait ou excisait les bubons, le parfumeur ou l'éventeur qui préparait les filtres odorants pour rendre l'air moins nauséabond, le nettoyeur qui assainissait les rues et brûlait les vêtements, l'évacueur ou le corbeau qui charriait et enterrait les morts en agitant sa clochette, payaient souvent de leur vie leur dévouement. Même les ecclésiastiques s'effrayaient de pratiques démoniaques. Malgré la désertion de nombreux prêtres, maints curés de campagne et moines Capucins se sacrifièrent au chevet des malades et des mourants. Le pape d'Avignon, Clément VI, qui fut Archevêque de Rouen, n'encouragea-t-il pas à pratiquer les autopsies en plein Moyen Âge, alors que les dissections étaient interdites par l'Église, afin que les médecins recherchent la vraie nature de la maladie ? Cela ne l'empêcha pas d'encourager les pèlerinages vers Rome en échange d'indulgences, tel le Jubilé de la peste au milieu du 14e siècle auquel participèrent de Normandie le comte et la comtesse d'Harcourt, le roi de Navarre et la Reine Blanche, future châtelaine de Condé-sur-Noireau.

 

          Le long de la route de la vallée de l'Orne, la maladie se propagea en 1348, de Caen à Argentan. À l'endroit où l'on créait des fosses communes et pour conjurer le sort, on édifia des croix de peste, au fût orné de bubons comme au Plessis-Grimoult, à Condé-sur-Noireau, à Saint-Pierre-la-Vieille. Un tiers de la population périt. On érigea des statues d'ange brandissant l'épée de la peste sur l'homme, pour rappeler que le châtiment venait de Dieu. N'espérant plus le secours des hommes, les paroissiens imploraient le ciel par l'intercession de la Vierge ou les saints Sébastien, Adrien, Roch qui furent alors les plus vénérés et, malgré les interdictions de rassemblements collectifs, l'objet de processions et de pèlerinages lorsque revint la peste au 17e siècle en Normandie. C'est alors qu'apparurent les nouvelles confréries de la Charité honorant les trois saints à la fois. On bâtit des chapelles isolées, comme celle vouée à saint Sébastien à Préaux dans le Calvados ou Méguillaume dans l'Orne, à saint Adrien à Falaise dont un hameau porte le nom, à saint Roch à l'écart du bourg de Saint-Marc-d'Ouilly, sur le chemin des miquelots, ou bien dans la tour du prieuré du Plessis-Grimoult... Dans le cantique à saint Roch, « la peste dévorante perd son ardeur, dès qu'auprès du Seigneur monte sa voix puissante. L'horrible maladie disparaît à sa voix, et d'un signe de croix, Roch à tous rend la vie ». Devant les statues, à l'entrée des sanctuaires, des mouchoirs ou bandes de tissu attestaient d'une guérison miraculeuse. Néanmoins, sur le faîte du clocher de Saint-Rémy flottait un drapeau noir éloignant le voyageur de la Vallée de l'Orne.

 

          Des établissements qui accueillirent les malades, peu ont conservé la trace de ces pestiférés alités si peu de temps, à l'écart de tous. Simples baraques de bois improvisées, « loges », ou gros tonneaux furent détruits à la fin de l'épidémie. D'anciennes maladreries destinées aux lépreux, comme à Hamars, Thury-Harcourt, Cesny-Bois-Halbout, furent réaffectées ; parmi les lazarets ou lieux-de-santé, certains furent transformés en hospices ou en véritables hôpitaux.

 

          Face à cette pandémie qui sévissait de la Chine à l'Europe occidentale, l'homme démuni se pensait contaminé par l'air et par la bouche. Au simple éternuement, répondait une humble prière « Que Dieu te bénisse », expression conservée en Angleterre mais remplacée en France par « A tes souhaits ». Ce n'est qu'au 19e, quand enfin l'on comprit que la puce puis le rat faisaient voyager le bacille, que furent introduits les moyens préventifs, les bons traitements, les premiers vaccins. Néanmoins, les premières croyances ont permis d'améliorer l'hygiène, la protection et l'accueil des malades, le traitement des déchets... Ainsi a-t-on généralisé la quarantaine qui est encore pratiquée aujourd'hui pour ralentir les pandémies comme le choléra. Les ravages furent tels dans la population agricole qu'ils engendrèrent un nombre croissant de mendiants et de vagabonds affluant vers les villes. Il fallait compenser en créant des emplois d'utilité collective, prendre des mesures d'assistance pour lutter contre la misère. Au 17e, les échevins durent payer les jours chômés et distribuer des denrées aux nécessiteux, imposant les bourgeois, récoltant des dons.

 

          Le retour de ces fléaux qui se répandent sur toute la terre font partie des peurs ancestrales que la mémoire a imprimées en nous. Cependant, malgré diverses alertes concernant de résistants virus, transmissibles par l'animal ou l'homme, le genre humain tout-puissant, tel Prométhée, se croit invulnérable tant sa foi en la science et en la médecine est indéfectible. Or, il doit faire preuve d'humilité devant son ignorance, car toujours il doit éprouver et apprendre tout en luttant pour sa survie. Le Covid 19, comme les nouveaux virus apparus récemment, est notre nouvel ennemi. Face à lui, nos premiers réflexes sont de fuir puis d'obéir en renonçant à une part de nos libertés, avant d'affronter et de se battre. L'État comme autrefois les échevins de nos villes, les notables de nos villages, doit pourvoir prioritairement aux soins de la population et avec les spécialistes de la santé éviter une propagation trop rapide, tout en risquant une grave récession économique.

 

          Au Moyen Âge, on pratique des formes de prophylaxie et de soutien humanitaire et économique qui présentent des similitudes avec les moyens d'action d'aujourd'hui :

  • Le dépistage et la prévention par l'isolement, la quarantaine, la fermeture des écoles, la désinfection par les plantes comme le genièvre, la cannelle, le romarin, le laurier, et surtout par le soufre que l'on mêle aux parfums.

  • La protection par l'assistance publique, l'assistance médicale gratuite, la livraison des vivres par les officiers de santé.

  • Les mesures de police interdisant les rassemblements, prescrivant les marquages des maisons, le port d'une canne blanche en cas de sortie, imposant des cordons sanitaires, contrôlant les entrées et sorties des villes avec un passeport sanitaire pour les pèlerins, surveillant les denrées alimentaires venant de l'extérieur...

          Aujourd'hui, notre production artisanale et industrielle s'arrête ou se reconvertit en urgence pour fabriquer masques et autres moyens de protection. Contrairement à hier, les champs peuvent être cultivés grâce à la mécanisation, les jardins sont entretenus, la campagne semble en partie épargnée. Cependant les terres maraîchères déplorent un manque de main d’œuvre pour récolter fruits et légumes. De même en période de crise et d'épidémie, les terres étaient laissées à l'abandon, à la friche, tant étaient nombreuses les victimes dans le moindre village traversé par ceux qui fuyaient les villes et ceux qui les rejoignaient pour y être nourris, soignés ou risquaient d'en être chassés. Au 15e siècle, la « grant mortalité » due à la peste noire a fait en Europe au minimum 25 millions de victimes en cinq ans. Les chiffres, quelquefois multipliés par quatre, ne seront sans doute pas comparables, espérons-le, à la pandémie du coronavirus.

 

          Mais notre grande terreur n'est-elle pas aussi que l'homme ne puisse trouver ni le remède ni le vaccin capable d'enrayer la maladie, à moyen ou à long terme, en nous plongeant dans une crise internationale, sanitaire, économique et sociale de grande envergure ? On a cru que l'argent et le pouvoir, quoique répartis inégalement, étaient gage de sécurité et de confort. Espérons que l'empathie, le renoncement, le courage ainsi qu'une infinie patience et foi en l'homme, puisqu'on n'en appelle moins à Dieu, nous feront croiser les voies de la confiance ainsi que du partage pour rencontrer l' harmonie avec notre environnement naturel et humain. Si l'isolement est parfois lié à la souffrance, à la misère, puisse-t-il, pour les plus privilégiés d'entre nous y compris pour ceux qui nous représentent tous, ramener à la réflexion, au doute et au changement !

 

Dans nos Vies... en deux Poésies...

Maryvonne Guettier-Leneveu
Nom de plume : MaryLaur FabiAnd

Palpitation...

Doucement, d'un pas feutré,
Je vais vers ce coeur blessé.
Blessé par cette pandémie
Mondiale, mais bien en vie.
Il palpite inexorablement,
Bien qu'anormalement.
Il espère retrouver toutes
Les douceurs sur les routes
De cet avenir bien incertain.
Il espère, peut-être en vain.
Mais... laissons ce coeur
Vivre et croire au meilleur
Pour poursuivre son passage
Sur Terre sans aucun nuage.

Maryvonne - Jeudi 16 avril 2020.

Vie... et Virus...

La Vie est un laps de temps.

Mais... le temps c'est apprendre

A compter, mieux vaut apprendre

A vivre, précieux est ce temps.

 

Temps, finalement compté.
Un intrus parmi nous, ce virus
Qui sournoisement et bien plus
Encore atteint notre santé.

 

Prenons soin de nous

Et de nos proches. Priorité

Pour préserver notre santé

En restant chez nous.

 

Le confinement est la tactique

Retenue. Soyons solidaires

Pour expulser ce locataire,

Le vaincre et lui faire la nique. 

 

Pour atténuer cette noirceur,

Il nous faut chercher la façon

D'arriver à retrouver le filon

Nous apportant de la couleur.

 

Pour l'heure, il nous faut alors

Composer pour que nos journées

Soient belles en ayant des idées

Pour oublier, changer de décors.

 

Nous retrouvons la vie en famille,

Avec les enfants faire des jeux,

Mais aussi la cuisine avec eux,

Complicité, existence tranquille.

 

L'enfant n'a pas classe

Il est à la fenêtre, suce un bonbec,

Passe un oiseau brindilles au bec,

Alors, l'enfant rêvasse.   

 

Aujourd'hui... le printemps,

Arrive, sans savoir que le virus

Insidieux se propage avec abus,

Mais pour combien de temps ?

 

Demain... ce sera le bel été,

C'est le cycle des saisons.

J'espère que nous pourrons

Dire que le virus est enrayé.

 

Coronavirus, tu ne gagneras

Pas ! Nous lutterons pour

Notre survie, chaque jour

Que Dieu fait, pour ton trépas.

 

Maryvonne - Vendredi 20 mars 2020.

 

 

 

Quentin, la mise en mots version confinement

 

Véronique Caubrière
Extraits de ma plume des maux (mon écrit libérateur de confinement)

Le 25/04/2020


Là, je viens tout juste de rentrer à la maison : j’étais partie avec Quentin sortir les louloutes, Biscotte et Saga. Nous sommes allés par le petit chemin qui part de chez nous jusqu’au camping de Thury. Quentin tenait Saga en laisse et n’a pas voulu la lâcher alors que je lui ai rappelé qu’elle revenait très bien si on la rappelait.  Il fait très chaud, lourd même. Je réalise à quel point la situation pèse à Quentin. Il veut sortir voir du monde, parler avec les gens, faire comme il a l’habitude...

 

Ça fait un mois que sa vie avec ses petits repères, ses rituels a volé en éclat et c’est compliqué pour lui.
... un mois que Quentin n’était pas sorti de notre « domaine », un mois que je le cantonnais à se déplacer entre la maison et le jardin où il vient de temps en temps nous rejoindre lorsque nous faisons de l’entretien extérieur (et il y a de quoi faire ! ). Un mois qu’il acceptait de ne pas sortir puisqu’il a bien compris la gravité de la situation, le danger.
Avec son insuffisance respiratoire chronique, Quentin fait partie de la population à risque et il est même doublement à risque puisqu’il est dans la case « handicapé » et dans différents articles publiés par des associations investies dans le handicap, j’ai lu que les personnes en situation de handicap ne faisaient pas partie des prioritaires en cas de manque de places en hôpital ni des personnes qui seraient réanimées si leur état de santé se dégradait. 
Moi ce genre d’information me tétanise. Bien sûr, je ne lui en parle pas. Lui, il n’est pas du tout inquiet. Comme chaque année, il est vacciné contre la grippe saisonnière, du coup, il se sent immunisé contre toutes les maladies. Dès qu’il entend parler de quelque chose, il dit « J’vais pas l’avoir moi, j’suis vacciné ». Merveilleux effet placebo du vaccin anti-grippe qui le protège de tout, absolument de tout... Un jour où nous étions à la pharmacie tous les deux à attendre qu’on nous délivre nos médicaments, il s’intéressait à des produits pour traiter la pédiculose. La pharmacienne lui a demandé s’il avait des poux, ce à quoi il a répondu « Ben non hein… j’suis vacciné ».
Ce qui préoccupe Quentin, ce n’est donc pas d’attraper cette cochonnerie de Coronavirus, puisqu’il ne craint rien se pensant immunisé, mais c’est que toutes ses petites habitudes, tous ses projets sont contrariés, décalés dans le temps, pire même, annulés. Avec son excellente mémoire, il a en tête tous ses rendez-vous médicaux, les spectacles de l’OMAC (Office Municipal d’Action Culturelle), les différents évènements auxquels il tient et certains auxquels il devait même participer (le rallye de la Suisse Normande, les vide-greniers…) et dès qu’il en parle, on lui dit que c’est annulé. Ce qui l’a sans doute le plus affecté c’est que notre séjour annuel à la montagne prévu depuis des mois à Val Thorens tombe également à l’eau (…)
Pour Quentin, ça fait quand même beaucoup. C’est une situation très particulière, inédite, qui nous est tombée dessus brutalement. Lui qui n’aime pas les imprévus, il est servi. Pour n’importe quel individu c’est déjà perturbant alors pour Quentin, avec sa difficulté à gérer ses frustrations, ses émotions, c’est insupportable.
Il est bousculé dans ses rituels, ses repères, devant une situation inhabituelle qui rompt son équilibre. Chez lui ça se traduit par une exacerbation de tous ses TOC dont je vous épargne les détails.
 Mais, en cette période de confinement, ce que j’appréhende le plus avec lui, ce sont ces discussions sans fin qui me donnent l’impression qu’on reprend la même conversation que la veille, que l’avant veille, que les jours précédents… avec ses « pourquoi, pourquoi, pourquoi ???... » et il faut répondre encore et encore des choses qu’on a déjà dites et ne pas le bousculer ou réagir comme on aimerait le faire pour l’envoyer bouler. C’est vraiment très difficile nerveusement à supporter. Alors je fais l’effort, nous faisons tous l’effort de rester calmes pour ne pas ajouter encore à son angoisse et on lui dit qu’on lui a déjà expliqué, qu’il a écouté les informations et qu’il connaît déjà la réponse.
En tout cas, on est très contents : il gère plutôt bien ses émotions puisqu’il n’a pas eu de crises d’agressivité. Enfin, pour l’instant, car la pression monte… ça fait quand même plus d’un mois que ça dure cette affaire. Et de fait, depuis plusieurs semaines que j’ai commencé à écrire, on a eu quelques passages à l’acte, sans conséquence heureusement mais des gestes qui nous rappellent qu’il ne faudrait pas grand-chose pour que ça s’envenime vraiment. Bon, pour l’instant il se reprend vite et demande aussitôt pardon, même si on sait que ça ne l’empêchera pas de recommencer à un autre moment. La situation est déjà difficile pour des gens qui n’ont pas de troubles autistiques alors je comprends que pour lui qui a toujours besoin de repères, qu’on lui réponde à chaque fois qu’il demande une date de fin de confinement que ce sera peut-être le 11 mai mais que ce n’est pas sûr et qu’en plus, ça ne veut pas dire que ce sera un retour à la normal, c’est sûr que ce n’est pas une réponse satisfaisante. Ça ne l’est déjà pas pour nous...                                     
                                            

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MARTINE ALANI

jeudi 30 avril 2020

Il fait beau. J'ai envie d'aller faire un tour.

 

Je révise ma check list : masque (où ai-je mis ce satané machin ?), gel hydroalcoolique (au cas où), remplir l'autorisation de sortie (on est quel jour ? Il est quelle heure ? Mince, je me suis trompée, il ne faut pas de rature... Je recommence tout.)

 

Je mets mon masque (il tient chaud), je me frotte les mains avec du gel... l'heure que j'ai mise sur l'autorisation n'est plus bonne.

 

J'enlève le masque, rallume mon ordinateur, imprime une nouvelle feuille (presque plus d'encre, vais-je pouvoir tenir jusqu'à la fin du confinement ?)

 

Je re re re re remplis la feuille, écris que je pars dans un quart d'heure...

 

Je remets mon masque (aïe, est-il encore valable, ça fait 4 fois que je le mets et l'enlève ?) Je dois attendre 10 mn la main sur la poignée de porte, le regard fixant ma montre pour sortir à l'heure indiquée sur ma feuille... ça y est, je peux sortir !!!

 

Le téléphone de la maison sonne (et si c'était important ?) J'enlève mon masque, je réponds. C'est une copine qui me demande ce qu'il faut faire quand on n'a plus de papier pour imprimer l'autorisation...

 

Je suis épuisée ! Plus envie de sortir !

A brûle pourpoint 

de Josine Stiker-Mougeolle - vendredi 1er mai 2020 

 

CONFiture

CONFidence

CONFiguration

CONFisquer

CONFondre

CONFérence

CONFirmation

CONFondu

CONFraternel

CONFrère

CONFite

CONFisquer

CONFronter

CONFident(e)

...CONFINEMENT !

 

La confiture, c'est connu, quelquefois, ça dégouline ! En toute confidence, je puis vous assurer qu'il ne faut pas confondre confiture et marmelade ! Il faut se confronter à la réalité : tout le monde n'est pas appelé à réussir cette prouesse culinaire !

  • Voyez-vous, cher confident, j'en ai eu la confirmation lors de la conférence de Mme Tatin. Son exposé fut des plus édifiants en la matière ! J'en suis restée toute confite devant mes pots, n'osant affronter ma déconfiture !

  • Je devrais vous confisquer votre livre de recettes me dit mon charmant confrère, vous êtes incapable de suivre une recette !

  • Ce n'est guère confraternel ce que vous me dites là, cher ami ! Moi qui lui ventais tant mes confitures, devant la déconfiture, je me suis confondue en excuses piteuses !

  • C'est la mauvaise configuration des astres actuels qui m'a amenée à cela lui répondis-je, désespérée ! J'espère, cher ami et aimable confrère, que votre confiance en mes talents ne sera pas à jamais altérée ! Si tel était le cas, je préférerais m'abandonner au confinement que d'avoir à subir de vous cet outrage !

 

 

 

LA BEAUTE COMME ACTE DE RESISTANCE

de Florence Boisjoly - 7 mai 2020 

 

En cette période inédite, confinement - déconfinement, 3 questions m'ont accompagnée :

- Comment traverser cette période, sans plonger dans la peur, l'inquiétude, la pensée qui tourne en rond... ?

- Comment la rendre la plus riche et la plus sereine possible ?

- Comment la saisir comme une opportunité pour m'éveiller différemment à moi-même ? à mon essentiel ? Même si l'inquiétude  reste   légitime.

 

Enfin une réponse fulgurante : et si je m'appuyais sur LA BEAUTE ? 

- Avec la beauté, je m'échappe de mes 4 murs. Comme un oiseau, je m'envole sur le fil de mon imaginaire !

- Percevoir la beauté autour de moi : Une fleur qui s'ouvre, un chant d'oiseau, une lecture - une musique bienfaisante...

- Et si je créais moi-même de la beauté ? Quelques pinceaux, de la couleur ; un joli plat cuisiné, une écriture inspirée...

 

LA BEAUTE me rend libre. Elle nourrit mon âme, et me relie à mon cœur.

Elle me rend plus forte, parce qu'elle me recentre et me ressource.

Osons nous laisser inspirer, ouvrir notre cœur à la main créatrice, jouer, s'émerveiller comme un enfant.

LA BEAUTE COMME ACTE DE RESISTANCE,

à un certain monde extérieur complexe et difficile,

à un certain espace intérieur parfois étouffant et limitant.